Nuit sur le pont
nuit sur le pont
les habitués absents
pluie et passants
Sugita Hisajo :
燈に縫うて子に教ゆる字秋の雨
hi ni nûte / ko ni oshiyuru ji / aki no ame
cousant sous la lampe
j'apprends l'alphabet à mon enfant
pluie d'automne
~
Takajo Mitsuhashi :
落葉 落葉落葉 臥所の中にも降る
ochiba ochiba ochiba fushido no naka ni mo furu
feuilles mortes
feuilles mortes, feuilles mortes
aussi dans mon lit
~
Teijo Nakamura :
曼珠沙華抱くほど取れど母恋し
manjushage* dakuhodo toredo haha koishi
ma mère me manque
je cueille des fleurs d'équinoxe
à pleines brassées
~
Masajo Suzuki :
女の秋髪染めあげてうらがなし
onna no aki kami some-agete uraganashi
L'automne des femmes...
je suis mélancolique
d'avoir teint mes cheveux
~
Ayako HOSOMI :
でで虫が桑で吹かるる秋の風
dedemushi ga / kuwa de fukaruru / aki no kaze
le vent d'automne
souffle un escargot
sur la feuille de mûrier
~
Mariko KOGA :
よろめきて振り向けばただ秋の風
yoromekite / furimukeba tada / aki no kaze
je me retourne
après avoir chancelé
rien que le vent d'automne !
~
Miyoko HASHIMOTO :
曼珠沙華蕊の先まで蟻ゆかしむ
manjushage* shibe no saki made ari yukashimu
Je laisse une fourmi
aller au bout
d'un pétale d'équinoxe
~
Hitomi OKAMOTO :
喪主という妻の終の座秋袷
moshu to iu tsuma no tsui no za aki-awase
Porter le deuil
est mon dernier devoir d'épouse -
kimono d'automne
~
Tsubaki HOSHINO :
コスモスに郵便箱のかくれたる
kosumosu** ni yûbin-bako no kakure taru
la boîte aux lettres
se cache
derrière des cosmos
~
Kazue ASAKURA :
髪黒きままの死願う曼珠沙華
kami kuroki mama no shi negau manjushage*
je souhaite mourir
avec mes cheveux noirs
fleurs d'équinoxe
~
Amari OKI :
蝉の眼をはこんでいたる秋の蟻
semi no me o hakonde itaru aki no ari
des fourmis portent
dans l'automne
des yeux de cigale
~
Yuko MASAKI :
キーワイを切れば翡翠の宇宙なる
kiwi o kireba hisui no uchû** naru
le kiwi coupé :
un cosmos
couleur jade !
~
Madoka MAYUZUMI :
紅引くや萩の乱れを鏡中に
beni hiku ya hagi** no midare o kyôchû ni
je mets du rouge à lèvres
dans la glace se balancent
les fleurs de cosmos
Kigo : mot de saison
* manjushage = nom littéraire (Cluster amaryllis), la fleur aux 600 noms ou
higanbana : fleur d'équinoxe (彼岸花), est la fleur des Japonais et des poètes. Fidèlement, à l'équinoxe d'automne, jaillissent de terre, sur de hautes hampes, ses fleurs de flammèches rouges. Sa floraison en masse, le long des fossés d'irrigation, strie les paysages des rizières de zébrures sanglantes. La magie de la fleur et celle des traditions font le succès de bien des haïkus et des estampes.
Higan : fête bouddhiste de 7 jours ayant lieu à chaque équinoxe, consacrée à la mémoire des morts et à l'entretien des tombes. La fleur apparaît pendant l'higan d'automne, d'où ce nom et quelques autres :
shibito bana : fleur des morts
tengai bana : fleur de l'au-delà
yûri bana : fleur des fantômes
sugeto bana : fleur orpheline
Cf. message antérieur (2007) sur chichin
** kosumosu, uchû = cosmos, fleur d'automne. Hagi (lespédèze) traduit cosmos.
aki = automne
ochiba = feuilles mortes
Cuakor : « [...] Le monde regorge de formes poétiques : on y rencontre le haïku venu du Japon, le tebrae des femmes maures, le rubayat persan, le calligramme apatride, le punto des paysans cubains, le slam urbain, le formalisme parisien, les joutes oratoires malgaches, les chants de femmes pachtounes. Anciennes contemporaines, elles sont nombreuses.
Chaque genre est un ouvroir potentiel de poésie. Le Coup de Dés mallarméen par exemple. »
Des haïkus qui voyagent à Nouméa, dans les îles de Maré, d'Ouvéa, à Paris même, toujours proches jamais lointains. Un tour du monde qui nous enchante.
Petite araignée
Dans mon bureau sans âme -
Des liens se tissent
Celui de nulle part :
Le maître accroupi
Au bord du vieil étang
Pfloc ! le bruit de l'eau
digne du grand maître de haïku.
à Ambrym (archipel de Vanuatu) :
Sieste sur un banc
Attendre que le jour tombe
Ou des pamplemousses
Sur la route :
Je monte la côte
Un papillon descend
Salutation
Lune :
Discrète et secrète
Dans les feuillages du pin
Un grain de beauté
~
Route de montagne
Les virages dans la nuit
Petits clins de lune !
Je vous laisse le découvrir et le retrouver sur ettrottecoco.com et également sur cuakor.net.
Et Trotte Coco, poèmes de route - & What 2007 - ISBN 978-2-9530695-0-1
Oku no hoso michi 奥の細道 : L'étroit chemin du fond
Texte bilingue : introduction, traduction, notes et commentaires par Alain Walter, professeur de littérature comparée, enseignant la littérature japonaise classique à l'Université Michel-de-MontaigneMichel-de-Montaigne à Bordeaux.
William Blake & Co. Edit. 2008 - ISBN 978-2-84103-163-4
Un livre qui s'adresse aux spécialistes. Il est difficile de se retrouver dans toutes ces notes, mais une étude approfondie intéressante. Lors de son voyage, beaucoup des hokku composés par Bashô avait à l'origine une fonction sociale d'adresse ou de réponse ou d'adieu. Cette convivialité toujours renouvelée, ces échanges poétiques, ces réunions amicales où l'on cuisine l'aubergine et savoure le melon, tout en se prélassant après les épreuves du chemin ne sont pas le moindre charme de L'étroit chemin du fond. Ce tercet, lors de la séparation d'avec un amateur rencontré en chemin :
物書きて扇引きさく余波哉
mono kakite ôgi hiki-saku nagori kana
Choses griffonnées
sur l'éventail qu'on déchire et se partage :
quel souvenir d'adieu
Notes
Mot de saison : à partir de l'expression ôgi oku - poser l'éventail, qui indique l'automne au septième mois lunaire. Bashô crée un mot de saison plus personnel tirer et déchirer l'éventail - ôgi hiki-saku.
Dès le début de l'été, l'éventail apparaît au Japon dans toutes les mains, et on ne le range qu'avec les premières fraîcheurs de l'automne.
Mais dans ce tercet, Bashô, tout en esquissant le soulagement éprouvé avec ce rafraîchissement de l'atmosphère, rend compte d'une manière originale et vivante sa connivence poétique avec son compagnon de voyage du moment. Les deux hommes en cheminant ont improvisé des poèmes, composé peut-être un bout de poésie enchaînée (renku), et tout cela a été griffonné sur l'éventail du poète. Maintenant qu'ils se quittent, Bashô propose de déchirer en deux l'éventail pour que chacun en garde une moitié en souvenir de ces jours de poésie et d'amitié. On peut même imaginer qu'il conservera la partie de l'éventail où Branche-du-Nord a écrit alors que celui-ci recevra la portion où se trouvent les tercets du maître. Beau cadeau d'adieu, en vérité !
matsukaze*
les poèmes sans voix
frôlent le pin
* vent dans les pins
installation au jardin de la Roquette de Yuuko Suzuki : L'arbre à paix (Paris 11e).
Le génie des jardins 2008
Née dans un quartier populaire de Tôkyô, Aya est membre de la revue Wakaba (jeune feuille) et a publié quatre recueils de haïkus. Son ressenti d'ouvrière :
je coltine un sac de charbon
avec des cordes
la poitrine comprimée
sumidawara katsugu chibusa o bakusarete
炭俵かつぐ乳房を縛されて
*
légèrement augmentée
je rentre chez moi
avec quelques fraises
ichigo kai modoru choppiri shôkyû su
苺買い戻るちょっぴり昇給す
*
mon père ne doit mourir
il faut
qu'il scie des blocs de charbon
sumi o hiku chi yori nogare enu chichi yo
炭を挽く地より逃れ得ぬ父よ
*
naissance au fond d'une ruelle
enfance au fond d'une ruelle...
Coiffure de fête
roji ni are roji ni sodachishi matsuri-gami
路地に生れ路地に育ちし祭髪
*
ma belle-mère est morte
ses grands pieds
dépassent de la couverture
ôki ashi futon hamidashi haha yukeri
大き足布団はみ出し継母逝けり
*
ce bouquet de chrysanthèmes sauvages
plein d'attentions pour mes parents
partis dans l'autre monde
nogiku tsumi raise wa fubo ni amaetaki
野菊摘み来世は父母に甘えたき
Maladie, mort, guerre sont les thèmes abordés par Kyôko Kerada. Née à Sapporo, tuberculeuse à dix-sept ans, elle a commencé à écrire en 1944 et a publié quatre recueils de haïkus.
セルを着て遺書は一行にて足りる
seru o kite isho wa ichigyô nite tariru
je porte un kimono de serge
une ligne suffira
sur mon testament
*
友の死がとどく銭湯真裸に
tomo no shi ga todoku sentô mahadaka ni
on m'annonce la mort
de mon amie - je suis nue
dans les bains publics
*
水打つや生きる父より亡母恋し
mizu utsu ya ikiru chichi yori bôbo koishi
l'arrosage...
Je veux revoir ma mère morte
plutôt que mon père vivant
*
et un sujet très féminin.
末枯れやねむりの中に生理くる
uragare ya nemuri no naka ni seiri kuru
plaine dénudée...
Mes règles viennent
pendant mon sommeil
Extraits de Du rouge aux lèvres (La Table ronde, 2008).
Santoka, dans son journal de la mendicité (1930) écrit :
« S’il y a une montagne, je regarde la montagne.
s'il pleut, j’écoute la pluie.
Printemps, été, automne, hiver,
demain sera bon et
hier soir était bon aussi ».
山あれば山を観る yama areba yama o miru
雨の日は雨を聴く ame no hi wa ame o kiku
春夏秋冬 haru natsu aki fuyu
あしたもよろし ashita mo yoroshi
ゆふべもよろし yûbe mo yoroshi
Il écrit un peu plus tard.
« Je me sens solitaire le jour où je ne marche pas.
Je me sens solitaire le jour où je ne bois pas.
Je me sens solitaire le jour où je n'écris pas de poème.
Je ne me sens pas solitaire même si je marche seul,
même si je bois seul, même si j'écris seul un poème. »
歩かない日はさみしい、 arukanai hi wa samishii
飲まない日はさみしい、nomanai hi wa samishii
作らない日はさみしい、tsukaranai hi wa samishii
ひとりでいることはさみしいけれど hitoride iru koto wa samishii keredo,
ひとりで歩き、ひとりで飲み、ひとりで作って hitoride aruki, hitoride nomi, hitoride tsukutte
いることはさみしくな iru koto wa samishikunai.
Ses haïkus sont de forme libre et orale, il utilise souvent le temps passé, contrairement aux classiques, qui, lorsqu'ils utilisent un verbe, l'écrivent au temps présent.
Concis, en peu de mots, il dit l'essentiel d'une manière narrative, une belle poésie minimaliste.
へうへうとして 水を味ふ
heu heu toshite mizu o ajiwau
tout en chancelant
je goûte l'eau
*
ぬれててふてふどこへゆく
nurete tefutefu doko e yuku
le papillon mouillé
où va-t-il ?
*
酔うてこほろぎと寝てゐたよ
youte jôrogi to nete itayo
saoul
j'ai dormi avec un grillon
*
かなかなないてひとりである
kanakana naite hitori de aru
quand la cigale chante
je me sens seul
*
つかれた脚へとんぼがとまった
tsukareta hashi e tonbo ga tomatta
sur ma jambe fatiguée
une libellule
*
鉄鉢の中へも霰
teppachi no naka e mo arare
même dans mon bol
il grêle
*
分け入れば水音
wakeireba mizu oto
j'avance plus loin
le bruit de l'eau
*
秋風の石を拾う
akikaze no ishi o hirou
vent d'automne
je ramasse une pierre
*
笠も漏りだしたか
kasa mo moridashitaka
même mon chapeau
commence à filtrer
*
私にあつては、生きるとは句作することである、句作即生活だ。
watashi ni atte wa, ikiru to wa kusaku suru koto de aru, kusaku sunawachi seikatsu da.
Pour moi, vivre c'est composer des haïkus. Faire un haïku c'est également la vie.
vocabulaire spécifique
kasa = chapeau de paille du moine
teppachi = bol en fer du moine mendiant
kanakana = cri de la cigale.
jôrogi = grillon
tefutefu = papillon
Extraits de Santoka, Zen à pas comptés (Éditions Arichi, 2008).
Santoka (1883-1940), moine et poète, buveur occasionnel, pratique la mendicité et la simplicité. Ses haïkus résonnent de mots plusieurs fois répétés (boutons d'or, cerisier, pissenlit, coucou, riz, etc.), comme une incantation, il joue avec les sonorités et les oppositions. Quelque soit la situation, il prend plaisir à son environnement.
あるけばきんぽうげ すわればきんぽうげ
arukeba kinpôge suwareba kinpôge
marcher sur les boutons d'or
m'asseoir sur les boutons d'or
-
さくらさくら さくさくら ちるさくら
sakura sakura saku sakura chiru sakura
cerisiers cerisiers
cerisiers en fleurs
cerisiers dispersés
-
ふまれてたんぽぽ ひらいてなんぽぽ
fumarete tanpopo hiraite tanpopo
écrasé le pissenlit
ouvert le pissenlit
-
あるけばかつこう いそげばかつこう
arukeba katsukô isogeba katsukô
marcher au chant du coucou
me presser au chant du coucou
-
しみじみ食べる 飯ばかりの 飯である
shimijimi taberu meshi bakari no meshi de aru
je mange tranquillement du riz
un simple repas de riz
-
もりもりもりあがる 雲へ歩む
mori mori mori agaru kumo e ayumu
je marche vers les nuages
qui montent montent lentement
-
ふくろうはふくろうで
わたしはわたしでねむれない
fukurô wa fukurô de
watashiwa watashide nemurenai
chouette et chouette
moi et moi insomniaque
-
安か安か 寒か寒か 雪雪
yasuka yasuka samuka samuka yuki yuki
tranquille et tranquille
froid et froid
neige et neige
* Libre interprétation de neko, la traduction est particulièrement difficile dans ce genre de cas.
Extraits de Santoka, Zen à pas comptés (Éditions Arichi, 2008).
allée arborée
la soie froissée
sur le trottoir
*
l'arbre à soie
dans ce monde inconnu
une connaissance
合歓木はこの見知らぬ世に知識かな
nemu no ki wa / kono mishiranu yo ni / chishiki kana
*
les fleurs
piétinées
de l'arbre à soie
足踏みしている合歓木の花
ashibumi shite iru nemunoki no hana
*
place de l'église
la femme dans son livre
odeur de poubelle
*
sous les platanes
la musique du manège
le cri des enfants