Le goût des haïku
Le goût des haïku
Textes choisis et présentés par Franck Médioni
Mercure de France, 2012
Format : 10,0 x 16,0 cm
ISBN 978-2-7152-3268-6
De l’ordinaire extraire l’extraordinaire. Telle est la force du poème court japonais, le haïku, considéré comme la forme littéraire zen par excellence. Il met en œuvre le satori – suspension du temps –, il saisit le merveilleux tapi au cœur de l’ordinaire, l’absolu au cœur du relatif, le sacré au cœur du banal. Une émotion, une intuition, un sentiment, une perception au sommet d’une montagne, dans un jardin, en pleine tempête ou au coin de la rue ; dans sa fugacité même, un instant est saisi au vol. Selon Bashô, grand maître du haïku, « c’est simplement ce qui arrive en tel lieu, à tel moment ». Balade poétique en compagnie de Bashô, Issa, Buson, Ryokan, Shiki, Santoka, Sôseki, Ueshima Onitsura, Fukyo Matoa, Satomura Shôba, Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Richard Brautigan, Benjamin Péret, Kenneth White, Louis Calaferte, Zéno Bianu, Tomas Tranströmer et bien d’autres…
Haikus des quatre saisons
Haïkus des quatre saisons
Estampes d'Hokusai
Le Seuil, 2010
Format : 13,0 x 19,0 cm
ISBN 9782021022933
Traduit par Roger Munier
Le haïku, poème constitué d'une brève suite de mots de trois vers, ne ressemble à aucun autre genre poétique. Il s'est épanoui au Japon au XVIIème siècle et nous plonge, au même titre que les autres arts de ce pays, comme la calligraphie ou celui du jardin, dans une expérience spirituelle aussi simple qu'intense. Ces Haïkus des quatre saisons nous entraînent dans une rêverie soutenue par les illustrations d’Hokusaï, l'un des maîtres de l'estampe japonaise, choisies pour accompagner chaque texte et qui favorisent le surgissement des images poétiques.
ah Fukushima
ah Fukushima
le haïku de Shiki
au-delà de la vague
~
見おろせば月に涼ずしや四千軒
mioruseba / tsuki ni suzushiya / yonsen noki
regardant en bas
sous la lune fraîche
quatre mille maisons
Haïku d'automne - Shiki
砂の如き 雲流れ行く朝の秋
suna no gotoki /kumo nagare yuku/asa no aki
comme le sable
les nuages coulent dans le ciel
en ce matin d'automne
L'automne au masculin
Bashô : 色付や豆腐に落ちて薄紅葉
irozuku ya /tôfu ni ochite/ usu momiji
elle change de couleur
en tombant sur le tôfu
la fine feuille d'automne
Buson : 淋しさのうれしくもあり秋の暮
sabishisa no / ureshiku mo ari / aki no kure
dans la solitude
il y a de la joie aussi
crépuscule d'automne
Dansui : ほたほたと椿の落つる朧月
hotahota to / tsubaki no otsuru / oborozuki
doucement
tombe une fleur de camélia
la lune voilée
Hosai : 夜中菊をぬすまれた土の穴ほつかりとある
yônaka kiku o / nusumareta tsuchi no ana /hotsukari to aru
pendant la nuit
quelqu'un a volé un chrysanthème
à la place un large trou
Ryokan : 秋ひよりせむ羽すずめのはをとかな
aki hiyori / senba suzume no / haoto kana
Le ciel d’automne
des milliers de moineaux –
le bruit de leurs ailes
Santoka : 掃くほどに散るほどの秋深く
haku hodoni / chiru hodono / aki fukaku
à mesure que je balaye
les feuilles tombent
automne profond
Shiki : 灯ともせば灯に力なし秋の暮
hi tomoseba / hi ni chikara nashi / aki no kure
allumant la lampe
la lumière n'a pas de force
soirée d'automne
Sôseki : 肩に来て人懐かしや赤蜻蛉
kata ni kite / hitonatsukashi ya / akatonbo
la libellule rouge
sur mon épaule s'est posée
intime et familière
Le printemps avec Shiki
宿の春
何もなきこそ
何もあれ
yado no haru / nani mo naki koso / nani mo are
Printemps au foyer
il n’y a rien et pourtant
il y a bien tout
Shiki (1867-1902) : des poules d'eau
水鳥や蘆うらがれて夕日影
mizudori ya / ashi uragarete / yûhikage
des poules d'eau
dans les roseaux flétris
au soleil couchant
我 WARE-WA- MOI JE MON
Pourquoi dit-on que, dans le haïku, il ne faut pas employer la première personne "je" ou "moi" ? Les haïjins expriment leur ressenti.
AWANO
かん烏
我に聞かせし
似非人語
kangarasu
ware ni kikaseshi
ese jingo
un corbeau dans la bise
m'a raconté
des balivernes
BASHO
涼しさを
わが宿にして
ねまるなり
suzushisa o
waga yado ni shite
nemaru nari
dans cette fraîcheur
me voilà comme chez moi
en habit de nuit me prélasse
BUSON
温泉の底に
我足見ゆる
けさの秋
onsen no soko ni
ware ashi miyuru
kesa no aki
au fond de la source chaude
je vois mes pieds
matin d'automne
CHIYO-JO
我雪を
水にうつして
にらみけり
ware yuki o
mizu ni utsushite
nirami keri
sous la neige
mon reflet dans l'eau
j'observe attentivement
HOSAI
井戸の暗さに
我が顔を見出す
ido no kurasa ni
waga kao o midasu
dans l'obscurité du puits
je reconnais mon visage
ISSA
時鳥
我が身ばかりに
降る雨か
hototogisu
wagami bakari ni
furu ame ka
petit coucou
serais-je le seul sur qui
tombe, tombe la pluie
KATO
蟻殺す
我を三人の子
に見られぬ
ari korosu
ware o sannin no ko
ni mirarenu
j'écrase une fourmi
et c'est moi que mes trois enfants
regardent
RYOKAN
萩すすき
わが行く道の
しるべせよ
hagi susuki
waga yuku michi no
shirubeseyo
trèfle et herbe d’automne
tout le long de mon chemin
pourtant familier !
SANTOKA
蝿を打ち蚊を打ち我を打ち
hae o uchi ka o uchi ware o uchi
Je frappe les mouches
je frappe les moustiques
je me frappe moi-même
(un de mes préférés)
SEISHI
春潮や
わが総身に
船の汽笛
shunchō ya
waga sōmi ni
fune no kiteki
marée printanière
mon corps entier transpercé
par la sirène du bateau
SHIKI
秋風や
生きて相る
汝と我
akikaze ya
ikite aimiru
nare to ware
Ah le vent d’automne
nous voir ensemble et toujours
vivants toi et moi
SOSEKI
蛍狩
われを小川に
落しけり
hotaru gari
ware o kogawa ni
otoshi keri
chasse aux lucioles
me fait tomber
dans le ruisseau
Shiki
鳥鳴いて
赤き木の実を
こぼしけり
tori naite / akaki ko-no-mi o / koboshi keri
L’oiseau en chantant
a fait tomber par terre
une baie rouge
KOKORO 心
La question est de savoir si le poète (haïjin) exprime ses sentiments explicitement dans un haïku. J'ai relevé quelques exemples où le mot cœur (kokoro en japonais) apparaît. Chez Bashô, c'est très rare et moins rare chez Santoka.
Arô (1879-1951)
漕ぎ出て 遠き心や 虫の声
kogidatete / tooki kokoro ya / mushi no koe
partant en barque
un cœur qui s'éloigne
le chant des insectes
Awano (1899-1992)
髪洗う すなわち 心洗いたく
kami arau / sunawachi kokoro / araitaku
Je me lave les cheveux
c'est-à-dire
que je me lave l'âme
春惜しむ 心比すれば 老にけり
haru oshimu / kokoro hisureba / oini keri
En secret
le printemps me manque
je vieillis
Bashô (1644-1694)
住つかぬ 旅のこ々ろや 置炬燵
sumitsukanu / tabi no kokoro ya / okigotatsu
fixé nulle part
et mon cœur errant aussi —
kotatsu mobile !
義朝の 心に似たり 秋の風
yoshitomo no / kokoro ni nitari / aki no kaze
au cœur de Yoshitomo
semblable
le vent d'automne
野ざらしを 心に風の しむ身哉
nozarashi o / kokoro ni kaze no / shimu mikana
résigné à mourir de froid
comment le vent
me traverse !
Buson (1716-1783)
裾に置きて 心に遠き 火桶かな
suso ni okite / kokoro ni tôki / hioke kana
Au bas de ma robe
Et pourtant loin de mon cœur
Ah ! le brasero
冬籠 心の奥の よしの山
fuyugomori / kokoro no ôku no / yoshino yama
retiré l’hiver
mais le cœur plein
du mont Yoshino
我園の まくおも盗 こころ哉
agaen no / maku omo nusumu / kokoro kana
dans mon jardin
cueillant un melon
j'ai l'impression de le voler
春や 重たき琵琶の 抱心
yukuharu ya / omotaki biwa no / dakigokoro
départ du printemps -
lourd le biwa
pour ce cœur qui le serre
裾に置て 心に遠き 火桶かな
susoni oite / kokoroni tooki / hioke kana
près des pieds
loin du coeur
le brasero
Chiyo-ni (1703-1775)
かけたらぬ 女心や 土用干
kaketaranu / onnagokoro ya / doyôboshi
jamais éteint
mon cœur de femme
j’aère mes vêtements
Hisajo (1890-1946)
春の陽に 心踊りて 襟掛けぬ
haru no hi ni / kokoro odorite / eri kakenu
lumière de printemps -
mon cœur danse en choisissant
le col de mon kimono
貧しき群れに 落ちし心や 百合にはず
mazushiki mureni / ochishi kokoro ya / yurini hazu
dans l’horrible foule
mon cœur s’est brisé
à la vue des lys innocents
Issa (1763-1827)
何もないが 心安なよ 涼しさよ
nanimo nai ga / kokoro yasunayo / suzushisa yo
Ne possédant rien
comme mon cœur est léger
comme l’air est frais
Mizuhara (1892-1981)
鰯雲 心の波の すえ消えて
iwashi-gumo / kokoro no nami no / sue kiete
Passe un banc de nuages
la houle de mon cœur
va expirant
青春の 過ぎにし心 苺食う
seishun no / suginishi kokoro / ichigo kuu
Printemps de ma vie
dépassé
je croque une fraise
Santoka (1882-1940)
心むなしく あらなみの よせてはかえし
kokoro munashiku aranamino yosetewa kaeshi
Le cœur vide
les vagues furieuses
m’assaillent, se retirent
蜻蛉去れば 蜂が来る事務 静心
tonbo sareba / hachi ga kuru jimu / shizugokoro
Une libellule part,
une abeille arrive à mon bureau
le cœur serein
こころおちつけば 水の音
kokoro ochitsukeba / mizu no oto
Mon cœur s’est calmé le bruit de l’eau
心疲れて 山が海が 美しあぎる
kokoro tsukarete yamaga umiga utsukushi agiru
Le cœur las
montagnes et mers
magnifiques
Shiki (1867-1902)
暑乱くるし 乱れ心や 雷をきく
atsukurushi / madare kokoro ya / rai o kiku
la chaleur est suffocante
le cœur agité
j'écoute le tonnerre
野分の夜 文読む心 定らず
nowaki no yo / fumiyomu kokoro / sadarazu
tempête d'automne
la nuit je lis un livre
le cœur agité